Comme la plupart des séances de Primary Colours / Couleurs primaires, le titre nous était choisi, et dans notre cas, sans point de question. C’était dès le départ problématique comme statement puisque ça présupposait une interchangeabilité entre les mots Acadia et Indigena, sous-tendant une réciprocité entre l’Acadie et le territoire Mi’kma’ki. Son peuple nous avait rendu possible la survie dans ses forêts suite à la déportation de 1755, mais d’après mes recherches auprès d’une Elder de Kouchibouguac, Marylin Bear, cette entraide aurait survenu non pas par amitié, mais par respect d’une valeur ancestrale: la compassion inconditionnelle pour l’enfant. Marylin m’avait confirmé qu’une vraie amitié entre son peuple et les francophones serait difficile sans une grande méfiance, puisque les premiers colons français les avaient trahi au tout début de leur cohabitation: pour gagner accès aux resources maritimes sur la côte pacifique de Terre-Neuve, les Français avaient faussement ameuté les Mi’kmaqs et les Malécites contre les Béotuks, ces derniers aussi vite anéantis.
Une parallèle entre l’identité colonisatrice et l’identité d’une l’Acadie déracinée serait intéressante à examiner, mais j’hésiterais de commencer une conversation sans souligner que le territoire Wabanaki (incluant aussi les nations Abénaquis, Penawapskewi, Pestomuhkati et Malécites), nous ne l’avons pas partagé avec les peuples indigènes de façon neutre comme beaucoup d’Acadiens aimeraient le croire. Ce territoire portait son propre nom que nous avons trop longtemps oublié. Éparpillés dans un monde qu’on surnomme depuis l’Acadie sans frontières, pour ensuite se rétablir tranquillement et créer une société dite inclusive, les Acadiens sont pourtant peu reconnaissants de la compassion mi’kmaq que jusqu’à très récemment. Quoiqu’un métissage existe entre les familles acadiennes et autochtones, c’est méconnu dans quelles circonstances ce croisement eu lieu. C’était avec ses notions d’ambiguïtés identitaires que j’arrive à table. Les thèmes qui ont étés abordés lors de la séance que j’ai animé avec Stéfan St-Laurent sont les suivants: le sang caché de nos ancêtres autochtones (le racisme et l’aspect tabou qui régne dans nos familles blanches); le bilinguisme (et l’absence des autres langues non-officielles dans notre curriculum); le partage du territoire (et les enjeux de pouvoir sur ceux-ci); la réalité franco-canadienne hors Québec (et leur sous-représentations à CP/Cp).
C’est devenu clair pour notre groupe qu’il faudrait promouvoir une revivification des langues indigènes et de trouver moyen de les inclure sur la place publique, comme on le fait en Bretagne par exemple. Autant une fraternisation entre francophones, anglophones et peuples autochtones est en processus dans les provinces maritimes, surtout depuis une urgence collective de s’opposer à l’exploitation du gaz de schiste et e protéger nos basins d’eau, il n’est plus acceptable de se dire inclusifs sans proposer des gestes de réconciliation concrets. On a parlé beaucoup des bonnes procédures à suivre pour initier des collaborations et ce qui revient souvent c’est que quand l’intention d’une invitation est bien ressentie, le reste peu se dérouler dans le respect et la coopération. Je crois qu’il est important de ne pas s’attendre à une amitié mais surtout à un exercice d’apprentissage. Peut-être apprendre la langue d’un autre, au moins assez pour se saluer et s’écouter pour ensuite se traduire? Une résolution que je trouve interessante serait de redonner au territoire son identité avec les noms propres des lieux pré-contact. Un titre plus juste pour résumer nos propos serait donc Acadie : Wabanaki.
Maryse Arseneault aime le vent dans les feuilles et les chansons tristes. Elle détient son diplôme de maîtrise de l'Université Concordia (MFA Studio Arts 2015), et continue de travailler en création multi-disciplinaire. Acadienne de Moncton, Arseneault présente son travail dans un contexte professionnel depuis 2005, plus récemment à la Galerie Sans Nom (2012), à Eastern Edge Gallery (2013) et à la Galerie du Nouvel Ontario (2015). En 2018, elle s’implique dans plusieurs projets, dont un premier essai de commissariat qui sera présenté à la galerie d’art Louise-et-Ruben-Cohen de l’Université de Moncton, ainsi qu’une participation dans le festival CONTACT à Toronto.